Exposition consacrée à Anna-Eva Bergman jusqu'au 16 juillet 2023
Le Grand Nord peint à l'abstrait
contemporainLe Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris propose en ce moment une rétrospective de l'artiste norvégienne Anna-Eva Bergman (1909-1987). Artiste de l'Ecole de Paris (qui accueillit tant de grands peintres étrangers) elle peint, certes en les abstrayant et en les simplifiant, les paysages et les fjords contemplés lors de ses visites dans le Grand Nord.
C'est une artiste qui fut, comme la peinture abstraite, très à la mode dans les années 60-80 puis inexplicablement tomba un peu dans l'oubli. Le MAMVP nous invite heureusement à découvrir (ou à redécouvrir) une oeuvre plus qu'intéressante encore aujourd'hui.
Anna-Eva Bergman vint s'installer très jeune à Paris à la fin des années 1920. Elle y étudia la Peinture et ne tarda pas à faire la connaissance des nombreux grands peintres internationaux de la première Ecole de Paris et notamment l'homme de sa vie, le futur grand peintre abstrait Hans Hartung. Ne pouvant développer son art au sein du couple elle finit par quitter Hartung juste avant la Seconde Guerre Mondial pour retourner en Norvège tout en maintenant cependant une correspondance avec lui. Son oeuvre à la maturité tardive ne débute véritablement qu'au début des années 50, juste avant son retour à Paris.
C'est une artiste dont le grand talent et l'apport à la Peinture consistent en l'usage nouveau et le collage sur la toile de plaques métalliques. Elles permettent à Anna-Eva Bergman de rendre les reflets de lumière naturelle de ses souvenirs de voyage. Tout comme, et en même temps que l'américaine Joan Mitchell, l'artiste scandinave peint les impressions laissées en mémoire par les paysages traversés, ceux du grand Nord norvégien à la nuit éternelle et aux fjords majestueux.
Les fjords du Grand Nord
Elle abstrait ces paysages pour n'en garder que les formes géométriques simples et les jeux de lumière marquants.
Même s'il semble au premier regard écrasé par deux montagnes ombrageuses un grand fjord enneigé luit comme une lune dans un ciel presque violacé : il brille dans une nuit étrange, une nuit polaire qui laisse encore filtrer malgré l'heure avancée certains rayons du soleil à l'origine de cette couleur spéciale (N°23-1981 Entre les deux montagnes ci-dessus). Bien que le cliché les rende un peu difficiles à admirer, c'est un chef d'oeuvre duquel émane, malgré la simplicité de la représentation, les impressions du Grand Nord la nuit.
Dans N°13-1976 Deux Nunataks les nunataks sont liserés de rouge par la lumière horizontale de l'aube tandis qu'une autre lumière, brillante, semble émaner de la poudreuse située sur le sommet que nous tenterions de gravir.
Le silence gardé devant ces grands toiles nous évoque le silence devant régner à ces endroits. D'ailleurs les traînées de neige sur ce fjord ressemblent aux tâches blanches sur le dos d'un animal gigantesque et assoupi.
La plupart des oeuvres présentées proviennent de la Fondation qu'Anna-Eva Bergman ouvrit à Antibes en 1994 pour y exposer ses oeuvres et celles de son mari.
La mer dans le Finnmark
Le Finnmark est le nom de cette région du Grand Nord scandinave, située principalement en Norvège, qu'Anna-Eva Bergman a connu lors de ses voyages.
Ci-dessus N°8-1969 Grand horizon bleu où un ciel couvert, pavé comme un mur de nuages érigé au-dessus de l'eau, semble agglutiner tout l'horizon sur la mer opaque. Le motif du pavement de la toile sera repris dans d'autres oeuvres très célèbres en association avec des dorures.
Dans N°12-1967 Grand Finnmark rouge il y a des bancs de sable étendus aux reflets brillants sur l'eau rougie. Et l'horizon, et le ciel. Et Rien d'autre de visible. Sauf le vide du Grand Nord et sa lumière partout à perte de vue.
L'or et l'espace
N°7-1963 est un tondo sur les bords duquel des nuées de dorures semblent tourner autour du disque d'or central. A la surprise de notre regard, un disque pas si centré que ça, contraint de se décaler vers la droite et le bas, et en même temps de continuer à suivre les trajectoires circulaires des nuées. Curieux effet d'optique où l'or semble bien positionné, faire tourner notre regard, mais est finalement décalé.
Autre peinture aux formes dorées plus statiques mais aussi originales et superbes, le N°29-1955 Crabe d'argent.
Les dorures s'associent au thème spatial dans le célèbre Grand Univers sur lequel la variation des reflets qui parsèment le grand cercle, s'imprime sur le regard du spectateur cheminant d'un côté à l'autre de la toile. Anna-Eva Bergman lorgne du côté de l'Art Optique à nouveau.
La grande et fascinante tapisserie Demi-terre-1974-1975, où une immense planète bigarrée est plongée dans l'espace noir absolu, témoigne du goût de l'Artiste pour la représentation de ce sujet au moment où la conquête spatiale était consommée.
Prolongeant celle pour l'Espace intersidéral, la fascination pour le rien, le trou, le vide apparaît dans cette empreinte abyssale à la profondeur infinie qu'est La Griffe (1953). Anna-Eva Bergman y relie les deux sujets tout comme le fit Lucio Fontana, le Grand Maître italo-argentin de l'Espace et du Vide, qui allait jusqu'à fendre la toile après une période de représentation des cratères lunaires qui mettait en valeur tout leur mystère.
C'est une exposition fort passionnante autour de l'art abstrait multiple d'Anna-Eva Bergman, au cours de laquelle le visiteur trouve l'envie de s'attarder et prendre son temps, de contempler les nombreux grands formats de l'Artiste norvégienne. Il serait dommage de la manquer.