Rétrospective dédiée à Eugène Leroy du 15 avril au 22 août 2022

Percevoir et voir

Publié par arman - mardi 10 mai 2022, 17:57 | Voir les avis

contemporain moderne

Le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris propose la rétrospective d'un peintre français qui au XXème siècle a repoussé les limites de la peinture figurative dans la tradition impressionniste. Regarder l'un des tableaux d'Eugène Leroy (1910-2000) c'est tenter de percevoir un motif enfoui sous une épaisse couche de peinture. Soudain le voir affleurer par la grâce d'un reflet de lumière, qui le met en perspective et libère l'espace qu'on devine tout autour.

L'exposition du MAMVP fait le choix d'aborder l'oeuvre d'Eugène Leroy né à Tourcoing, non pas de manière chronologique, mais de regrouper ses toiles selon le sujet représenté. Ainsi la grande variété des thèmes figuratifs peints par l'Artiste du Nord permet au visiteur d'aborder par divers sujets un style difficile mais unique. Reprise de chefs d'oeuvre connus, autoportraits, crucifixions, nus féminins, marines, intensités abstraites au rouge écarlate : la liste des motifs ayant inspiré le Peintre est encore longue. Nous allons égréner ceux ayant produit les résultats les plus impressionnants parmi eux.

Autoportraits

<
>

Dans les Autoportraits, le jeu des ombres qui creuse les orbites des yeux rapproche le visage du peintre de sa propre mort, mais le fait ressembler aussi à une demi-lune. Le clair-obscur, qu'il admire plus que tout chez Rembrandt, se transforme chez Eugène Leroy en une lumière spectrale.

Est-ce lugubre? Oui mais en caressant la croûte de peinture épaisse on croirait pouvoir écarter d'un doigt tremblant le voile de mystère de la condition humaine. Sous les coups de pinceau agglutinés subsiste encore le fantôme du sujet du Peintre, c'est à dire lui-même.

Les Christs en croix

<
>

Ci-dessus des personnages que l'on devine, car universellement identifiables, et qui sortent du néant en demeurant dans le tragique, le Christ crucifié et les deux Marie qui le pleurent. Les volumes de leurs corps ne refont surface que par la lumière mais ces personnages presques abstraits inspirent empathie et débordent d'humanité. Des abstractions emplies d'humanité disais-je? Le coup de pinceau d'Eugène Leroy est tel qu'il arrive à résoudre cet étonnant paradoxe, et réalise ce même grand écart au-delà de l'étonnement visuel qu'il suscite.

On pourrait croire que ce style si particulier s'est construit dans une solitude autarcique. Et pourtant, si comme professeur de français dans un collège il n'a jamais quitté son Nord natal, les voyages ont permis à Eugène Leroy de s'enthousiasmer pour les tableaux des Grands Peintres classiques ou d'artistes de son temps comme Mark Rohtko.

Les nus

<
>

Sous la couche de détails superflus du quotidien apparaissent les dos diaphanes et lumineux des belles : on en devine une au balcon devant l'arbre d'un grand jardin, une autre entre les rideaux à sa fenêtre. On en voit aussi deux qui face à face dans la pénombre, l'une de dos l'autre de face, semblent vouloir absorber toute la lumière.

Eugène Leroy fut rapidement exposé en galerie, d'abord dans sa région à Lille (en 1937 à l'âge de vingt-sept ans seulement) puis à Paris après la Guerre, notamment à partir de 1961 à la célèbre galerie Claude Bernard. Le grand collectionneur allemand Michael Werner, en compagnie du peintre Georg Baselitz, découvrit par hasard sa Peinture à Paris dans les années 1960 et s'en enthousiasma jusqu'à devenir son agent à l'international.

Les marines

<
>

Le vent et le froid engourdissent le regard qui se met à confondre les éléments de Marine (1960) : nuage et écume, ciel et mer, traînée de soleil au ciel et jetée sur la rive. Dans Mer du Nord (1958) l'impression de vent et la violence des éléments qui cingle les yeux sur la grève vont de pair avec la rugosité de la couche de peinture appliquée. Malgré la poussière des jours incrustée et des noirs côteaux, on perçoit l'aménité survivante, verdoyante entourant l'ombre d'embarcation flottant près de la rive dans Paysage (1950).

Avec les Marines on mesure à quel point Eugène Leroy à pousser encore plus loin les limites atteintes par Cézanne et les Impressionnistes. Il ne s'est pourtant pas contenté d'approfondir la Peinture Figurative : ses grands Rouges écarlates, coagulés sur leurs maelströms de couleurs et qui produisent une impression intense, sont bien de la Peinture Abstraite.

Les peintures d'Eugène Leroy font aujourd'hui partie du catalogue d'importantes collections publiques et privées, dont notamment celle du MAMVP. Le musée des Beaux-Arts de Tourcoing, sa ville natale, porte aujourd'hui son nom. Et tout cela est bien plus que mérité pour un peintre dont l'importance de l'oeuvre n'a pas encore été complètement mesurée.

Pas d'avis pour l'instant.
Publier un commentaire :