Expositions "Monet - Mitchell" jusqu'au 27 février 2023
Deux peintres à Vétheuil
moderneSur les cinq étages de son édifice du Bois de Boulogne, la Fondation Vuitton propose une rétrospective de la peintre américaine Joan Mitchell (1925-1992) et un rapprochement de cette artiste abstraite avec le Maître de l'Impressionnisme Claude Monet (1840-1926). Et le visiteur de se demander en quoi peuvent être liés les nymphéas de Giverny et les motifs abstraits de l'américaine?
Et bien si, il y a un lien, très ténu certes... Car l'exposition dans sa globalité peut tout à fait être vue comme une simple juxtaposition des oeuvres des deux Artistes, qui ont en commun d'avoir habité (et peint) la vallée de la Seine à Vétheuil, dans le Vexin normand.
Et ce n'est pas leur seul point commun. Les chefs de file de l'expressionnisme américain (Jackson Pollock, De Kooning) que veut suivre la jeune Joan Mitchell dans les années 50, ont toujours vu le dernier Monet, celui des années 1920, comme un précurseur de leur mouvement abstrait.
Monet vers l'Abstrait
De son toit au rouge écarlate la maison de Giverny semble participer aux chaleurs estivales. Toutes les frondaisons à l'unisson s'enroulent comme des flammes alimentées par le vent brûlant.
Au printemps sur la seconde vue, la lumière brille sur une nature redevenue sereine. De la maison semble s'écouler vers la droite un flot couleur vermeil et le toit semble lui prendre celle de la rose.
Ces toiles presque intimes peintes en 1924 témoignent que les dernières oeuvres de Claude Monet, qui représentent son étang aux nymphéas, son jardin et sa maison à Giverny, tendent vers une plus grande simplification du trait et du motif, au fur et à mesure que le Maître perdait la vue. Monet, se contentant alors d'esquisser les formes, préférait mettre en valeur l'amas des couleurs entremêlées à l'aide desquelles il allait saturer la composition, annonçant la technique du allover des expressionnistes abstraits. Voici un autre bel exemple, un autre diptyque montré au cours de l'exposition représentant un coin de l'étang aux nymphéas :
L' "Impressionnisme abstrait" de Mitchell
C'est la critique américaine qui invente cette expression pour rapprocher certains artistes abstraits comme Joan Mitchell, du style du dernier Monet. Ce que l'Artiste américaine partage avec le Maître de Giverny c'est une façon directe, très brute dans sa manière à elle, de rendre le vague souvenir laissé par la vue d'un paysage : elle se limite certes aux couleurs et à leur répartition approximative dans le cadre mais réussit cependant, et c'est bien le but, à reproduire l'impression première comme Monet et les Impressionnistes.
Ce nouvel "Impressionnisme" n'est plus si abstrait puisqu'il représente un sujet bien concret contrairement aux oeuvres abstraites de Jackson Pollock ou Kandinsky. La salle qui accueille la série de toiles La Grande Vallée (1984) photographiée en tête d'article est ainsi caractéristique : de tous côtés des toiles évoquant une végétation colorée et variée, abondante et dense comme d'immenses touffes serrées les unes aux autres. Le visiteur dès l'entrée dans la salle croit ainsi changer de paysage et de lieu.
Cette série de peintures n'avait plus été réunie depuis sa présentation à la Galerie Jean Fournier en 1995 : c'est donc un événement exceptionnel de pouvoir la revoir aujourd'hui de façon presque intégrale.
Hemlock (1956) ci-dessus est un autre exemple de la représentation du vivant, ici un sapin aux larges branches raides et vivaces supportant l'amoncellement des flocons de neige. Mais l'essentiel est dans l'énergie de l'action painting insufflée aux branches prises au milieu d'un vent tourbillonnant, qui semblent se débattre en mouvements électriques.
Autre souvenir qui semble déchirer le voile de l'oubli, Rock Bottom (1960) fait jaillir le bleu profond d'un lac de montagne au détour d'un rocher.
Inspirations divergentes
Si leurs démarches se rejoignent parfois on appréciera le plus souvent au cours de l'exposition des oeuvres pour lesquelles les inspirations des deux Artistes ont divergé.
Cette toile Sans Titre (1970) fait partie de la série des Field de Joan Mitchell, du nom des surfaces de couleurs employées comme des champs laissés en aplat sur la toile et accompagnés d'autres motifs abstraits et brillants.
L'Agapanthe (1915-1926) où flottent comme des nymphéas les nuances de bleu, de vert et de mauve, est un triptyque appartenant au cycle des Grandes Décorations de Claude Monet. De façon inexpliquée il ne fut pas intégré à l'installation du Musée de l'Orangerie en 1927 : exposés pour la première fois seulement en 1956 ses trois panneaux furent acquis séparément par des musées américains.
C'est donc une chance de les voir à nouveau réunis dans le cadre de cette exposition qui nous permet à la fois de découvrir une artiste moderne passionnante, et de retrouver le génie d'un des artistes favoris du public, lui venu nombreux.