Exposition "Derain, Balthus, Giacometti" au MAMVP jusqu'au 29 octobre
Les Baigneuses et Balthus
moderneLe Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris consacre une exposition à l'admiration réciproque et à l'amitié partagées par trois artistes renommés du XXème siècle. Derain, Balthus et Giacometti se rencontrent pour la première fois dans les années 1930 au sein du groupe des Surréalistes mené par André Breton.
L'exposition est l'occasion de découvrir un peintre enthousiasmant et rare, Balthus, dont l'univers pictural peuplé d'enfants et de personnages étranges, n'est naïf qu'au premier coup d'oeil.
André Derain l'ainé des trois, a lancé ses grands feux d'artifices fauvistes dans les années 1900 en compagnie de Vlaminck, les deux compères entraînant ensuite dans leur sillage un certain Matisse. Et comme un autre fauve à ses débuts, Georges Braque, Derain suit Pablo Picasso dans ses toutes premières expérimentations cubistes de 1907-1908.
L'exposition laisse un témoignage extraordinaire de cette expérience qui suit la même inspiration cézannienne que les autres cubistes, avec les Baigneuses ci-dessus, thème et motif emblématiques du Maître d'Aix, aux formes brutes et aux corps taillés dans la roche. Elles se déplacent avec la lenteur de lourdes statues en mouvement et semblent nées pour vivre entre elles au milieu des rochers et des cascades.
Derain le conformiste
Lors de sa rencontre avec Balthus et Giacommeti chez les surréalistes trente ans plus tard Derain fait encore partie du gotha artisitique de Paris. Mais sa production depuis la première guerre mondiale s'est déjà éloigné des courants avant-gardistes, son inspiration s'est considérablement étriquée en un classicisme morne et dévitalisé, produisant des paysages sans soleil, des fruits aux couleurs sans nuances et aux volumes aplatis. On peut cependant admirer le noir profond caractéritisque du style Derain de cette époque, qui enveloppe la Nature morte aux poires de 1939 très aimée d"Alberto Giacometti. Quant à Balthus, lui qui aimait à ses débuts reproduire les chefs d'oeuvre de Masaccio, il s'en tire magistralement avec sa Nature Morte de 1937 qui imite les maîtres espagnols, notamment Vélasquez, et hollandais.
Créés par un peintre pessimiste, les personnages de Derain, aux faciès sans trait, parfois même dessinés de façon shématique, s'effacent sous leurs accessoires comme cette jeune fille devenue le mannequin d'une robe à carreaux proéminents et rouges. Sa tenue met cependant en valeur son visage lisse et lumineux sortant de l'obscurité.
Le Boa - 1935 - New York, MET
Les modèles de Derain prennent aussi des poses lascives au cours desquelles leurs chairs perdent en naturel ce qu'elles gagnent en ornements, maquillages et décors artificiels. Parfois pour le meilleur comme sur la toile ci-dessous :
Nu allongé au divan vert - 1939 - André Derain - Genève, Petit Palais
Jeune fille endormie - 1943 - Balthus - Londres, Tate Gallery
Les reflets enveloppent de luxe et de satin vert la peau d'une belle et riche endormie. Balthus lui illumine comme un clair de lune le visage d'une jeune fille assoupie.
Voici un exemple édifiant de l'admiration que Balthus vouait à André Derain, magnifiant son gabarit malgré l'atrabilaire de la scène.
André Derain - 1936 - New York, MoMA
L'univers de Balthus
La chambre ci-dessous fait partie de la série de toiles où le Peintre prend comme motif deux jeunes adolescents livrés à aux-mêmes seuls dans une même pièce. Bien souvent une jeune fille lit à même le sol à quatre pattes tandis qu'un garçon troublé s'entête dans un effort qui le dispense de s'intéresser à ses formes. Ce jeu entre deux adolescents apparemment solitaires, donne une tension dramatique à peine voilée au tableau, qui interroge notre regard sur notre propre voyeurisme.
La chambre - 1948 - Washington, Hirshhorn Museum
La Rue - 1933 - New York, MoMA
Le Roi des chats - 1935 - Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts
Cette jeune femme costaude et nue en chaussettes rouges, nous présente d'un air naturel une jeune fille beaucoup plus menue, attentive à elle et studieuse. Sa peau découverte passerait presque inaperçue comme si elle revêtait un habit lumineux, dans une posture rappelant l'attitude débonnaire du fameux Gilles de Watteau
La Rue de Balthus est peuplée d'autres personnages singuliers : enfants à têtes d'adultes ridicules, passants de dos ou cachant leur visage. Au milieu de couleurs doucereuses, le visage du jeune homme au premier plan semble s'être figé dans un sourire d'automate. Le cuistot à l'arrière s'est raidi sous sa toque tel un poteau télégraphique. Il y a quelque chose qui cloche dans cette ambiance bon enfant : les gens dans cette rue se croisent mais ne s'adressent pas un regard, certains semblent agir de façon mécanique...
Dans l'autoportrait Le Roi des chats avec son personnage à grosse tête et petits corps Balthus se moque des vanités humaines. Il reprendra le même motif pour ses superbes illustrations du livre Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë.
Peu de sculptures originales de Giacometti sont présentes. L'exposition rassemble essentiellement des portraits peints peu enthousiasmants, au style grisonnant et radiographique. Mais la simple occasion de pouvoir voir un chef d'oeuvre comme La Rue est à surtout ne pas manquer.