Exposition "Turner, peintures et aquarelles" jusqu'au 11 janvier

Impressions sur des paysages anglais

Publié par arman - dimanche 20 septembre 2020, 19:16 | Voir les avis

classique

Le Musée Jacquemart-André bénéficie en ce moment d'un prêt exceptionel de la part de la Tate Britain de Londres, un ensemble de peintures de l'anglais William Turner (1775-1851) avec notamment de nombreux paysages peints à l'aquarelle.

Dès les premières salles, qui exposent pourtant des oeuvres de jeunesse, l'événement nous fait sentir avec bonheur à quel point Turner, vivant pourtant en pleine époque romantique, avait l'inspiration et les dons d'un peintre impressionniste en avance sur son temps.   

L'ensemble des oeuvres de l'exposition fait partie d'un legs du peintre lui-même à l'Etat Britannique. Ce sont donc des oeuvres très personnelles contrairement aux oeuvres de commande, peintes puis conservées pour le plaisir comme les aquarelles présentées dans la première salle de l'exposition datant de la formation de l'Artiste.

Paysages en aquarelle

Encore jeune étudiant à la Royal Academy Turner aimait passer ses étés à arpenter la Grande-Bretagne pour y peindre à l'aquarelle les plus beaux paysages de son territoire. Si elles ressemblent parfois à des ébauches ces aquarelles placent toujours un détail enchanteur au milieu d'une nature idyllique et paisible.

C'est le cas ci-dessus de l'eau du lac que surplombent les ruines du château de Norham, et dont la surface d'un bleu profond semble se vitrifier malgré l'impression générale de brume : juste au moment où notre regard rencontre le reflet de lumière, dont s'écarte le petit voilier solitaire dans sa crique (Château de Norham - étude de couleur, 1798). C'est le cas aussi des arbres de Un barde et d'autres personnages dans un paysage montagneux (1800), dont les futaies à l'opposé de l'eau du lac prennent l'immatérialité d'une couleur transparente, la légèreté d'une ombrelle.

Mais le vrai chef d'oeuvre, peut-être son tout premier car il le peignit à seulement 16 ans, est Vue des gorges de l'Avon (1791), petite merveille qui éblouit le regard dès l'entrée de l'exposition et dont la photo ci-dessous trahit malheureusement la valeur et l'éclat.

Surplombant l'un des méandres du fleuve Avon, un petit arbre capte les dorures du soleil et de sa hauteur semble se substituer à l'astre hors cadre.

Le retour au « Lorrain »

Il est un peintre français génial malheureusement trop sous-estimé par notre époque au profit de son contemporain Nicolas Poussin. Il s'agit de Claude Gellée alias « Le Lorrain » dont la renommée exceptionnelle au XVIIème siècle s'étendait dans toute l'Europe, et dont les oeuvres illuminaient les collections personnelles de têtes couronnées attirées par la grâce de son coup de pinceau. 

William Turner voyageur découvrit le génie de cet immense artiste lors d'un long séjour en France. Son admiration fut si profonde qu'avant de devenir le peintre à effet que l'on connaît, il prolongea le style classique, mais néanmoins sublime, du peintre français. L'oeuvre la plus exceptionnelle de l'exposition est justement la toile de grand format Le rameau d'or (1834) totalement inspirée des oeuvres du Lorrain.

Si les deux peintres ont tous deux recours au sujet mythologique baignant dans une lumière sereine, Turner va plus loin : il produit une impression de douceur générale d'abord par l'introduction d'éléments vaporeux (le lac ci-dessus). Il utilise ensuite un mélange "pointilliste" de petits détails et de couleurs extrèmement fins (on s'en aperçoit en s'approchant du tableau) mêlant oranges et verts qui s'éclairent dans la lumière de son pinceau adroit.

Le résultat est moins architectural et sculptural que celui du Lorrain (si tant est qu'on puisse trouver un défaut de froideur à l'un des plus grands peintres français). A l'instar des nymphes qui dansent et se prélassent, Turner baigne le spectateur dans une ambiance sans âge de sérénité et de bonheur. Un chef d'oeuvre absolu qui ne peut se comparer qu'aux plus belles toiles de la Renaissance Italienne et l'une des peintures les plus connues de l'artiste anglais dont la présence à Paris est en soi un événement.

Les effets de la maturité

Ce sont dans les oeuvres de la maturité où l'on trouvera la patte impressionniste la plus évidente, où la délicatesse du trait laisse la place aux effets de couleur et à un flouté délibéré, qui épure le propos narratif des toiles pour n'évoquer que l'essentiel.

Si les toiles sur Venise présentées à l'exposition sont remarquables de ce point de vue, nous avons choisi de retenir celle ci-dessous où la Ville de Carthage en arrière-plan, baigne fantomatique dans une atmosphère de rage sourde et écarlate (couleur que la photo ne restitue malheureusement pas tout à fait). C'est une toile au premier plan de laquelle jaillit un geyser de flammes.  

Turner reprend le récit de l'Enéide de Virgile pour y insérer un nouvel épisode dans la relation d'Enée le héros troyen et Didon la Reine de Carthage. Lors de la visite de la tombe de son défunt mari c'est toute la fureur de Sychée qui s'expulse telle un geyser de feu à la vue de la compagnie de Didon. Jamais la fureur d'un personnage de plus absent du cadre n'avait autant empli la toile pour la réalisation d'un événement aussi fantastique. L'« Impressionnisme » de Turner et ses effets restent au service du « Romantisme » des sentiments représentés. 

Que ce soit par les aquarelles ou les grandes peintures à l'huile, cette exposition du Jacquemart donne envie de faire le voyage à Londres pour découvrir d'autres toiles impresionnistes avant l'heure, ou d'autres chefs d'oeuvre inspirés du Lorrain. Les toiles de Turner étant rares en France c'est décidément un événement pictural à ne pas manquer.   

Nous avons 1 avis :
dani - dimanche 08 mai 2022, 20:29
très bien
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