Rétrospective "L'innocence archaïque" à Orsay

Vive le Douanier Rousseau

Publié par arman - mardi 26 juillet 2016, 14:12 | Voir les avis

classique moderne

Le Musée d'Orsay présentait jusqu'au 17 juillet une exposition consacrée au Douanier Rousseau, peintre amateur employé à l'Octroi de Paris, dont l'oeuvre souvent qualifiée de naïve fit la sincère admiration des Modernes d'Apollinaire à Picasso.

Une rétrospective sur le Douanier Rousseau (1844-1910) artiste populaire aux oeuvres trop rares, est forcément un événement accueilli avec enthousiasme. Le début de l'exposition laissera pourtant le visiteur un peu sur sa faim, s'il ne goûte pas l'ensemble des portraits de groupe ou en pied qui sont le propos des premières salles. 

Un Art du Portrait particulier

En effet sa façon de dessiner les visages des personnages peut sembler souvent simpliste, voire caricaturale comme sur le portrait L'enfant à la poupée - 1892 - Musée de l'Orangerie. Evidemment il y a d"extraordinaires exceptions et on remarquera qu'elle ont toutes comme point commun d'introduire la nature d'une façon très originale, comme dans La Noce - 1905 - Musée de l'Orangerie, où les branches des arbres entourant les personnages ressemblent avec bonheur aux nervures d'une simple feuille. Sur un mode différent la nature est aussi présente dans le portrait féminin ci-dessous :

Portrait de Madame M - 1895 - Musée d'Orsay

Cette géante semble flanquée de deux arbres, situés en réalité à l'arrière-plan, dont le Douanier a pris soin de représenter les feuilles comme souvent une à une. Madame M. a peut-être le visage blême mais de ses épaules bouffantes qui ont laissé pousser deux bras en porcelaine, on pourrait croire à deux grandes feuilles de nénuphar accrochées aux épaules. Le Douanier rend si parfaitement les replis et le volume de la robe, grâce aux nuances de bleu que les photos malheureusement assombrissent, qu'elle ressemble à la toile arrondie d'un parapluie, d'une montgolfière.

Madame M avec sa robe en corolle est la plus belle plante en son jardin : dans l'univers d'Henri Rousseau, les hommes s'inscrivent et se fondent si bien dans la Nature qu'ils en deviennent, non pas des pantins, mais de simple éléments tout aussi naturels et inertes que les autres. C'est donc lorsqu'il fait apparaître sur ces toiles la nature et ses arbres aux grandes feuilles que le Douanier Rousseau nous offre son génie personnel. Qui donc a mieux peint les feuilles que le Douanier? Sûrement personne, mais avant de nous plonger dans les toiles où la végétation est avantageusement luxuriante, l'exposition montre que l'Artiste est également doué pour représenter d'autres sujets.  

L'Allégorie 

Très loin de ses thèmes habituels, le Douanier Rousseau a pourtant peint l'un de ses plus grands chefs d'oeuvre avec le tableau allégorique ci-dessous. 

La Guerre - 1893 - Musée d'Orsay

Le tableau La Guerre - 1893 - Musée d'Orsay est une mise en garde très impressionnante sur les ravages que la discorde entre pays peut provoquer.

De leur couleur pâle, de leurs contours plus diaphanes encore, on croirait voir le froid envahir les corps qui jonchent le sol, se dévitalisent et semblent se statufier peu à peu au moment même où notre regard se pose sur eux. N'est-ce pas la Mort qui représentée sur ces corps par un coup de pinceau magistral? La Guerre en personne ne s'y trompe pas non plus puisqu'elle leur jette ses noirs charognards, feuilles mortes vite transformées en corbeaux tombées de façon surnaturelle. Tandis qu'une aube de braise se lève et évoque par l'allégorie le désastre et la violence terribles qui ont lieu.

La Nature Morte

De façon relativement inattendue, le Peintre de la Nature débordante est capable de représenter avec grâce les natures mortes et les bouquets de fleurs. Dans celle ci-dessous on remarquera que les feuilles et les fruits représentés en larges aplats de couleur vont en groupe ou par deux, les poires semblent en plus absorber la lumière, prendre du volume et s'adoucir grâce au dégradé de couleur. Prendre vie, contrairement aux matières inertes, la cafetière et la lampe à pétrole, elles séparées, étroites et solitaires. 

Nature morte à la cafetière - 1910 - Collection Particulière

Les "jungles"

Voici enfin le style le plus populaire et caractéristique du Douanier : s'il n'a connu la végétation tropicale qu'en allant voir la grande serre du Jardin des Plantes, Rousseau a pourtant peint de nombreuses scènes de jungle à la fin de sa vie.

Cheval attaqué par un jaguar - 1910 - Moscou, Musée Pouchkine

Forêt tropicale avec singes - 1910 - Washington, National Gallery of Art

La cascade - 1910 - The Art Institute of Chicago

La Charmeuse de serpents - 1907 - Musée d'Orsay

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Dans les jungles du douanier Rousseau, les longues feuilles verdoyantes semblent parfois lancées comme des flèches pour atteindre l'animal pris au piège par un fauve (Cheval attaqué par un jaguar - 1910 - Moscou, Musée Pouchkine). Elles s'accrochent graciles aux branches imitées en cela par les singes (Forêt tropicale avec singes - 1910 - Washington, National Gallery of Art). Ou servent de paravent à un petit paradis terrestre avec cascade (La cascade - 1910 - The Art Institute of Chicago).

Mais ce que toutes les toiles ont en commun ce sont ces larges feuilles miroitantes, tantôt rouges tantôt vert foncé, qui une à une témoignent de la pleine vigueur de la plante qui les porte. La Charmeuse de serpents - 1907 - Musée d'Orsay porte justement en exergue la végétation exotique, sa grande variété de verts et de formes. Sous un clair de lune, au bord d'une rivière amazonienne, on croit entendre l'onde aux lignes planes et pures s'écouler sous la musique aigue et fluette d'une créature dont le regard achève de nous hypnotiser. C'est l'un des chefs-d'oeuvre d'une rétrospective consacrée au plus écolo de nos grands peintres, et à ne pas manquer.

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