Exposition "Icônes de l'Art Moderne, la Collection Chtchoukine"
Picasso dans les collections russes
moderneDans ce quatrième et dernier volet de notre critique consacrée à l'exposition de la Fondation Vuitton, revenons sur la place importante occupée par le pape du Cubisme, l'espagnol Pablo Picasso.
L'exposition et la collection couvrent toutes les périodes importantes du Génie andalou dont la Période Bleue avec notamment le Portrait de Benet Soler - 1903 - Musée de l'Ermitage ci-dessus. Il faut remonter à l'exposition du Grand Palais consacrée à la Collection Stein, l'autre grande collection d'art moderne, pour les voir toutes représentées en France au cours d'un même événement. L'exposition de la Fondation Vuitton réunit ainsi 29 des 50 Picasso que compte la collection Chtchoukine, dont certains appartiennent à la Période rose du Peintre.
La Période rose
La période rose correspond à l'époque où Pablo Picasso utilise des couleurs dans les tons orangés et roses, en contraste avec les couleurs froides et sombres de la période précédente appelée période bleue. Cette expérience artistique dure environ deux ans, de 1904 à 1906. Picasso est alors heureux avec Fernande Olivier qu'il a rencontrée en 1904, ce qui a été avancé comme une des raisons possibles de l'évolution de sa peinture.
Les Bateleurs (Etude) - 1905 - Moscou, Musée Pouchkine
Malgré la douceur de la couleur l'atmosphère tout en rose ne peut faire perdre de vue le désoeuvrement et la pauvreté des saltimbanques. Ils semblent errer en plein soleil cherchant un point de chute, sales et recouverts de poussière levée par le tourbillon du champ de course. Leur profil ombrageux, leur marginalité et leurs déguisements confèrent à ces personnages une personnalité étrange et fascinante - un chien sur deux pattes les accompagne tel un humain comme eux.
Tout comme pour Matisse et Gauguin, Chtchoukine consacrait une pièce entière de son palais aux toiles les plus avant-gardistes de Pablo Picasso.
La Cellule Picasso
C'est Henri Matisse qui en 1908 invite pour la première fois le collectionneur russe à visiter Pablo Picasso à son atelier du Bateau-Lavoir. Soit un an à peine après le début de la révolution cubiste et la création des Demoiselles d'Avignon. Le choc dut être important car avec la création picassienne de nouvelles créature, on entre dans le Fantastique au sens contemporain et cinématographique du terme.
La Dryade - 1908 - Musée de l'Ermitage
Dans la mythologie grecque les dryades sont des divinités mineures, des nymphes vivant dans les arbres. Celle-ci en tout cas n'est pas née dans une rose : de taille presque humaine mais à la corpulence très imposante, elle se dirige vers nous avec la force et l'aplomb d'une poutre taillée dans le chêne. Son visage sans trait et son allure vacillante la font ressembler à un automate gauche et inquiétant. Que nous veut-elle au juste?
D'autres figures picassiennes impressionnent encore : ce sont les "Trois Femmes" ci-dessous taillées elles dans une roche très rouge (plus rouge que sur la photo).
Trois Femmes - 1907-08 - Musée de l'Ermitage
Celle toile monumentale rappelle évidemment les célèbres "Demoiselles d'Avignon" du MOMA de New York, peintes quasiment en même temps par le peintre andalou. Taillées dans la pierre les "Trois Femmes" ont un corps forgé dans le calcaire rouge tandis que leurs visages allongés en masques africains sont tout aussi fantasmagoriques. Moins inquiétantes que la dryade elles s'étirent langoureusement comme si, engendrées par les entrailles de la terre, elles sortaient d'un sommeil profond.
Les portraits géométriques de femmes aux corps massifs sont nombreux dans l'exposition : citons encore les fabuleux "La Fermière", "L'Amitié" et "Femme nue assise (Méditation)" peints par Picasso durant la même année 1908.
Voici à présent dans un style vraiment cubiste un violon "démultiplié".
Le Violon - 1912 - Moscou, Musée Pouchkine
L'Art de Picasso est toujours aussi "moderne", alors que ces tableaux ont plus de 100 ans maintenant.
Nous ne pouvons achever le dernier volet de cette chronique d'une longueur certes inhabituelle sans parler aussi des artistes modernes russes, de la Galerie nationale Trétiakov à Moscou. Même si leurs oeuvres n'ont pas été acquises par Chtchoukine il faut rendre encore hommage aux musées russes d'avoir voulu montrer les oeuvres de leurs grands artistes du début du XXème siècle. Citons Tatline et son superbe "Nu" (1913), Rodtchenko, et bien sûr Kasimir Malévitch dont l'hypnotique "Carré Noir" (1915) absorbe dans son abyme les regards qui veulent bien se laisser désarçonnés par ses angles irréguliers.
Nous espérons à présent avoir donné un aperçu complet de cette prodigieuse exposition. Etant donné son très grand succès populaire, la Fondation Vuitton a annoncé sa prolongation jusqu'au 5 mars inclus.